L’avenir durable des soins de santé

Un panel d’experts explore les défis actuels et futurs dans le cadre d’un débat virtuel

févr. 1, 2024


À l’initiative de BD, trois experts de la santé de niveau mondial ont participé à un débat sur les défis actuels en matière de soins de santé. Le débat était centré sur l’avenir durable des soins de santé. Ana Nicholls, Directrice des Opérations Industrielles de l’Economist Intelligence Unit (EIU), la Dre Neda Milevska Kostova, présidente de l’Alliance Internationale des Organisations de Patients (IAPO) et, dans le rôle du modérateur, le professeur Hamish Laing, directeur de la Value-Based Health and Care Academy, ont exposé les défis à relever pour parvenir à un avenir durable des soins de santé dans le monde occidental. Vous trouverez ci-dessous quelques-uns des points essentiels de leur discussion.

Comment définir l’’avenir durable des soins de santé’ ?

La notion d’’avenir durable des soins de santé’ requiert un système résilient doté des moyens nécessaires pour relever les grands défis sanitaires, un système capable de concilier la santé publique et l’économie, affirme Ana Nicholls. la Dre Neda Milevska Kostova souligne que pour les patients, la durabilité des soins de santé implique un continuum de soins, crucial pour celles et ceux qui vivent avec des pathologies complexes. « La peur du changement, comme la centralisation, est naturelle, surtout pour les patients confrontés à l’incertitude due à la maladie. Une communication adéquate, l’éducation et une approche fondée sur le partenariat peuvent les aider à accepter ces changements. La durabilité des soins de santé varie d’un pays à l’autre, avec des défis spécifiques tels que le vieillissement en Europe occidentale, l’accessibilité financière en Afrique et la diversification économique au Moyen-Orient.

À court terme, la COVID a eu un impact significatif sur notre perception de la durabilité des soins. « Nous avons connu la pandémie et nous avons consacré une grande partie des fonds alloués à la santé à traiter la COVID, puis nous avons consenti un effort de rattrapage des soins non COVID. Nous espérions qu’au sortir de la pandémie, la croissance économique serait suffisamment rapide pour compenser certains de ces coûts. Au lieu de cela, nous avons dû faire face à la guerre en Ukraine, au prix de l’énergie, à la crise de l’augmentation du coût de la vie et à la hausse des taux d’intérêt. Le résultat ? Les gouvernements sont confrontés à un endettement inconnu de par le passé », explique Ana Nicholls. « Nous sommes donc confrontés à un défi à court terme : comment maintenir le financement, dont tout le monde a admis après la pandémie qu’il devait être conservé, tout en faisant face à cette spirale inflationniste ? »

« Je pense que les gouvernements reconnaissent que les dépenses de santé représentent un investissement et un investissement dans l’avenir du pays », poursuit-elle. « Le problème, c’est qu’ils doivent avoir la volonté politique de réaliser cet investissement par rapport à d’autres demandes pressantes comme la transition énergétique, le verdissement de l’économie et les dépenses de défense en raison de la guerre en Ukraine. Et puis il y a toujours des demandes concurrentes en matière d’éducation, par exemple. Nous devons donc nous assurer que les gouvernements donnent la priorité aux soins de santé. »

La pandémie a-t-elle initié des transformations positives dans le domaine des soins de santé ?

La pandémie peut être comparée à un tsunami, estime le Dr Kostova, en termes économiques et de vies perdues. Aujourd’hui, nous sommes encore en train de rattraper le retard accumulé, y compris en ce qui concerne les soins non urgents et les opérations chirurgicales qui ont été reportées.

« Parmi les communautés de patients, un élément a été perçu comme positif : la nécessité urgente d’investir dans les soins de santé », explique la Dre Kostova. La pandémie a révélé qu’il restait énormément de travail à faire dans ce domaine.

Pour le professeur Laing, l’un des principaux changements a été la relation entre les soins de santé et les sciences de la vie, lesquelles ont évolué au cours de la pandémie vers une approche reposant davantage sur le partenariat en ce qui concerne la fourniture de produits et de médicaments. Il est apparu que l’industrie et les systèmes de santé devaient travailler de manière conjointe. Il en va de même pour la collaboration entre les pays. Ceux qui ont partagé leurs informations ont facilité le travail de préparation, ce qui nous a permis de déployer et d’utiliser les données de manière extrêmement efficace.

« La pandémie a permis aux patients et aux citoyens de mesurer l’importance des soins de santé, mais malheureusement elle a aussi réduit la capacité des gouvernements à financer ces mêmes soins de santé », déclare Ana Nicholls. « Il s’agit donc d’une arme à double tranchant en termes de financement des soins de santé. »

Nos modèles de financement actuels sont-ils soutenables ?

Nos experts estiment qu’il y a des avantages et des inconvénients à chacun d’entre eux. Les investissements dans les soins de santé dépendent de la qualité des soins que l’on compte obtenir.

« Les divers systèmes de paiement utilisés dans les différents pays révèlent très clairement qu’ils présentent tous des éléments d’incitation pervers. Il est donc très important de les affiner aussi soigneusement que possible », indique Ana Nicholls. « Je sais que l’Allemagne mène actuellement de nombreuses expériences sur la manière dont les Diagnosis-Related Groups (DRG) fonctionnent dans les systèmes hospitaliers. Le pays s’inquiète du fait que la manière dont ces groupes sont constitués encourage le surtraitement ; il tente dès lors de se tourner vers une forme qui prévoit davantage de paiements anticipés. »

Elle poursuit : « Pour s’assurer que le système fonctionne au maximum de son efficacité, ce type d’ajustements est extrêmement important. Le problème est que les patients réagissent parfois mal aux changements. Les médecins et les directeurs d’hôpitaux peuvent également voir ce type d’évolution d’un très mauvais œil, car elles entraînent souvent des perturbations et des coûts supplémentaires lorsqu’elles sont mises en œuvre. Il faut donc vraiment veiller à ce que les gens soient convaincus que les changements vont dans la bonne direction et qu’ils permettront de réaliser des gains d’efficacité. »

La Dre Kostova partage cet avis. « Il n’y a pas de solution unique », dit-elle. « Si nous considérons le système de soins de santé comme un univers dynamique, dans lequel nous remettons en question tout ce qui est lié aux habitudes inutiles ou à l’innovation qui doit être intégrée à différents stades, à différents niveaux, je pense que cela peut vraiment aider de ne pas créer une solution durable unique, mais au contraire de développer une solution personnalisée pour chaque contexte et chaque pays – parce que ce qui est valable pour l’un peut ne pas fonctionner dans un autre. »

Qu’en est-il des soins de santé basés sur la valeur ?

Les soins de santé basés sur la valeur permettent d’obtenir de meilleurs résultats financiers et de réduire les coûts, estime le professeur Laing. De nombreuses indications démontrent que si l’on prend des décisions avec les patients, ceux-ci sont plus enclins à choisir une approche moins médicale que les soignants, qui « veulent que tout soit parfait ». La crainte est que, s’ils en ont la possibilité, les patients demandent tout, mais ce n’est pas la réalité. Les patients sont tout à fait capables de dire « merci, mais non merci, je ne veux pas tout ça – la seule chose qui m’importe, c’est de pouvoir jouer avec mes petits-enfants, je ne veux pas escalader une montagne, donc je n’ai pas besoin de deux nouveaux genoux », explique-t-il.

Comment pouvons-nous continuer à améliorer les résultats des soins de santé ? L’efficacité est-elle la clé du progrès ?

Il est crucial d’améliorer la coordination au sein des systèmes, de débarrasser les professionnels de la santé de certaines tâches administratives et d’évoluer vers des soins de santé fondés sur la valeur. « Il n’est pas bon que des professionnels de santé hautement qualifiés, qu’il s’agisse de médecins, d’infirmières, de kinésithérapeutes ou d’autres prestataires de soins, effectuent des tâches administratives », explique le professeur Laing. « En éliminant ces tâches et en libérant du temps, les prestataires de soins peuvent consacrer plus de temps aux patients. Notre système actuel est basé sur le volume plutôt que sur la valeur. Si nous libérons du temps pour les médecins, nous ne faisons que leur donner plus de volume. Vous avez du temps libre maintenant, vous pourriez voir 10 patients de plus, ou pratiquer trois interventions chirurgicales supplémentaires. Nous devons protéger ce temps libre afin que les médecins puissent s’occuper des patients qu’ils ont déjà. »

Les effets du changement climatique sur les soins de santé

Le changement climatique a des répercussions sur les soins de santé de deux manières. La première a trait à l’impact environnemental des soins de santé proprement dits, qui n’est pas négligeable. Aux États-Unis, on estime que les soins de santé sont à l’origine d’environ 8,5 % des émissions de carbone, contre environ 5 % en Europe.

L’autre aspect est l’impact du changement climatique sur la santé des populations. Selon l’Organisation mondiale de la santé, quelque 3,2 millions de personnes sont mortes des suites de la pollution de l’air domestique en 2020, tandis que 6,7 millions de personnes meurent prématurément chaque année des effets combinés de la pollution de l’air ambiant et de la pollution de l’air domestique1. « Le taux de mortalité dû à la pollution de l’air est élevé, surtout en Asie, mais aussi de plus en plus dans d’autres régions du monde », souligne Ana Nicholls. Les vagues de chaleur représentent un autre danger émergent. « Le changement climatique aura un impact considérable sur les besoins en matière de soins de santé et, malheureusement, cet impact sera particulièrement important dans les pays qui sont les moins en mesure d’y faire face. »

Pour le professeur Laing, les soins de santé axés sur la qualité et les résultats peuvent jouer un rôle clé à cet égard. « Le produit qui génère le moins d’émissions de carbone est celui que l’on n’utilise pas. Il existe une forte corrélation entre les soins de santé axés sur la qualité et les résultats, et les programmes environnementaux. Chaque rendez-vous inutile auquel un patient est conduit en voiture, chaque intervention superflue mettant en œuvre un matériel important, chaque médicament prescrit et non pris, tout cela entraîne également un gaspillage considérable de carbone. »

Vous désirez regarder le débat dans son intégralité ? Cliquez ici..

Notre panel d’experts

La Dre Neda Milevska Kostova est présidente de l’Alliance Internationale des Organisations de Patients (IAPO), située au Royaume-Uni, présidente de l’Observatoire des Patients pour la Sécurité des Patients de l’IAPO et présidente de l’Alliance des Patients pour la Résistance aux Antimicrobiens (AMR), en Suisse. Elle est actuellement chercheuse postdoctorale à Radboudumc, aux Pays-Bas, et consultante en politiques nationales de santé pour l’Organisation Mondiale de la Santé.

Ana Nicholls est Directrice des Opérations Industrielles auprès de The Economist Intelligence Unit (EIU). Ana Nicholls est une analyste expérimentée spécialisée dans le développement économique mondial et une experte en matière de politique industrielle et commerciale des pouvoirs publics. Elle travaille en étroite collaboration avec des clients des secteurs de la santé et de l’industrie automobile.

Le Professor Hamish Laing est professeur d’innovation, d’engagement et de résultats améliorés à l’Université de Swansea. Le professeur Laing est titulaire de plusieurs titres prestigieux, dont celui de directeur fondateur de la Value-Based Health and Care Academy de l’université de Swansea. Il également Senior Fellow de la Faculté de leadership et de gestion médicale ainsi que Fellow de la Faculté d’informatique clinique au Royaume-Uni.


Références
  1. Household air pollution fact sheet, traduction du site web : Wereldgezondheidsorganisatie, opgehaald van: https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/household-air-pollution-and-health#:~:text=Household%20air%20pollution%20was%20responsible,6.7%20miljoen%20premature%20deaths%20annually
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