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Quelle est l’ampleur du problème de détournement de médicaments?

L'Institut BD d'excellence en gestion des médicaments

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PUBLICATION : Dec 2, 2019

Dennis A. Tribble, PharmD, FASHP, Directeur, Innovation clinique, Affaires médicales chez BD


Introduction

Contrairement à la crise des opiacés aux États-Unis, dont les signalements ont été largement répandus et pour lesquels les chiffres semblent assez clairs, les informations sur l’incidence des détournements de médicaments en milieu hospitalier semble beaucoup plus difficile à trouver.

Les détournements de médicaments dans les hôpitaux existent depuis longtemps. J’ai régulièrement participé à des enquêtes sur les détournements au cours de mes premières années de pratique. Mon premier cas remonte à 1977. Au cours des deux années suivantes, j’ai participé à au moins quatre autres cas dont je me souviens.

 

Le cas de Cincinnati

John Burke, commandant (à la retraite) des Services de police de Cincinnati et aujourd’hui président et fondateur de l’International Healthcare Facilities Diversion Association (IHFDA), a présenté à plusieurs reprises le problème de la sous-déclaration. Au cours d’une conversation, le commandant Burke m’a fait savoir qu’il avait dirigé un groupe de travail chargé d’enquêter sur les détournements de substances réglementées dans les hôpitaux. Formé en 1992, ce groupe de travail a œuvré pendant 10 ans. S’appuyant sur cette expérience, il a expliqué qu’un grand nombre d’établissements de santé ne signalent pas les détournements; que le plus souvent, le délinquant est congédié ou autorisé à démissionner, principalement par crainte d’attention médiatique.1 Dans une récente présentation, il a passé en revue ses propres statistiques pour Cincinnati, réparties sur la population des États-Unis et conclu que le nombre annuel d’arrestations pour détournement aux États-Unis correspond au nombre qui devrait se produire par jour.

Il existe une publication par Inciardi et al.2 qui donne une description plus précise de ces chiffres. Sur une période de 11 ans, de 1992 à 2002, il y a eu 423 cas documentés de détournement de médicaments impliquant des professionnels de la santé , soit une moyenne de 38,4 cas par an. La population de Cincinnati a diminué au cours de cette période, avec 359 433 individus en 19923, un nombre qui a chuté à 322 44 en 20024 (soit une population moyenne de 341 038 habitants). La population des États-Unis s’est établie à 256,9 millions de personnes en 19925 et ont atteint 287,6 millions en 20026 (en moyenne : 272,3 millions d’individus).

Si l’on suppose que Cincinnati est représentative des détournements en général aux États-Unis, cette incidence représente 30 656 cas documentés par an aux États-Unis au cours de la même période, soit 84 cas documentés par jour.

Dans cette même présentation, Burke a indiqué que le nombre d’arrestations dans de telles affaires est inférieur à 100 par an. Il ne semble pas y avoir de références pour valider ce numéro. Cependant, même si le nombre d’arrestations est dix fois celui de Burke (1000 arrestations par an), on est loin des chiffres avancés par le groupe de travail de Cincinnati.

 

Données récentes de l’IHFDA

Dans une présentation lors de la récente réunion de l’IHFDA (22-25 septembre 2019 – Orlando FL), il a été révélé que le taux de détournement dans les établissements de santé semble augmenter, d’après des comparaisons des données de 2017 et de 2018. Plus précisément, les recherches portant sur des incidents de détournement signalés publiquement indiquent que 21 millions de doses ont été détournées en 2017 et 47 millions en 2018.7 De plus, la même présentation affirmait qu’une enquête sur le détournement a duré (en moyenne) 22 mois pour aboutir en 2018.

 

Études d’anesthésie – Keith Berge, MD, anesthésiste, Mayo Clinic

À la même conférence, le Dr Keith Berge a présenté une étude à laquelle il a participé et qui évaluait l’incidence et la gravité des troubles liés à l’usage des substances psychoactives chez les anesthésistes.

  • Les anesthésistes représentent 4,2 % des médecins et 11,4 % des médecins qui s’intéressent au traitement des troubles de l’utilisation de substances psychoactives.8
  • Sur 45 581 stagiaires résidents de 1975 à 20098
    • L’incidence globale des troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives (TUSP) était de 2,2 par 1000 années de résidence8
    • 896 présentaient un TUSP confirmé à un moment donné de leur carrière8
    • 384 présentaient un TUSP confirmé au cours de leur formation8
      • 338 détectés pendant leur internat8
        • 28 sont décédés durant leur internat8
        • 23 ont quitté leur internat avant la fin8
        • 12 ont été transférés vers un autre programme8
        • 173 internats terminés8
        • 135 certifiés par le conseil d’administration de l’ABA8
      • Sur les 310 personnes présentant des TUSP qui ont survécu à leur internat8
        • 91 ont récidivé au moins une fois8
          • 19 d’entre eux étaient encore en formation8
        • Le taux de récidive estimé à 30 ans était de 43 %8
        • Délai médian avant rechute : 2,6 ans8
        • 12 sont décédés en première rechute8
        • 12 ont fait deux rechutes ou plus, 2 sont décédés8
  • Seulement 56 % des épisodes ont été signalés par les directeurs de programmes8
  • Au moins 1 résident sur 9 qui présente un TUSP mourra de cette maladie8
  • Si l’on traite les décès par TUSP comme un « risque professionnel », le taux de décès est de 15,7 décès pour 100 000 ETP, un risque de décès plus élevé que pour les pompiers et les policiers
     

Résultats de l’enquête BD

Début 2019, BD a diligenté une enquête auprès de plus de 650 dirigeants d’hôpitaux et prestataires de soins de santé, qui a fait écho à ces anecdotes :

Parmi les répondants interrogés, 85 % se sont dits préoccupés par les détournements, mais seulement 20 % estiment que leur propre établissement est touché par un tel problème.9

  • 63 % des cadres et 54 % des soignants pensaient que leur établissement a été touché par des problèmes de détournement au cours de la dernière année9
  • 57 % des cadres et 64 % des soignants estiment qu’il n’est pas détecté9

Même si les personnes interrogées ont reconnu que la gestion des détournements est difficile et que les outils qu’ils utilisent sont probablement inefficaces, plus de la moitié de chaque population (cadres supérieurs et aidants) estiment qu’ils consacrent assez de temps et d’énergie pour la gestion des détournements.9

Cette dissonance laisse présager des dénis assez importants.

 

Perspectives d’avenir

Dans les cercles de la direction, cela semble être axiomatique que tout ce qui n’est pas mesuré ne peut pas être géré. Cette citation, faussement attribuée à Peter Drucker, semble néanmoins servir de base à la science de la gestion moderne. Puisque ce qui n’est pas mesuré ne peut pas être géré,10 il semble que nous ayons un long chemin à parcourir pour connaître l’importance de notre problème de détournement des soins de santé, et encore moins pour pouvoir mesurer l’efficacité de l’un de nos remèdes.

Une solution possible a été proposée par une coalition de fournisseurs et d’intervenants dans le domaine du détournement des soins de santé, HealthCareDiversion.org.* Cet organisme a mis en place un site Web sur lequel les individus et les agences peuvent signaler les cas de détournement de façon dûment anonymisée. Il sera intéressant de voir comment cet effort portera ses fruits.

*Il s’agit d’une nouvelle tentative de gestion des détournements; il est trop tôt pour savoir si elle fonctionnera.

En savoir plus

Chaque mois, sur le blogue de l'Institut BD d'excellence en gestion des médicaments, des leaders d’opinion explorent des sujets d’importance cruciale pour la gestion des médicaments et proposent d’autres sources d’apprentissage.

 

Références

  1. Burke, J. Role of Security and Law Enforcement In Diversion Investigations, presented to the International Healthcare Diversion Association First Annual Meeting, 2016.
  2. Inciardi et al. The Diversion of Prescription Drugs by Health Care Workers in Cincinnati, Ohio. Substance Use & Misuse 41:255-264 (2006).
  3. Population de Cincinnati en 1992 - Recherche sur Google. Google.com  Published 2019. Consultation : 2 octobre 2019.
  4. Population de Cincinnati en 2002 - Recherche sur Google. Google.com.  Published 2019. Consultation : 2 octobre 2019.
  5. Population des États-Unis en 1992 - Recherche sur Google. Google.com.  Published 2019. Consultation : 2 octobre 2019.
  6. Population des États-Unis en 2002 - Google Search. Google.com.  Published 2019. Consultation : 2 octobre 2019.
  7. Protenus, Inc. 47.2 Million Doses Lost Due To Healthcare Employee Misuse And Theft In 2018. Protenus, Inc.; 2019.
  8. Berge K. Chemical Abuse in Anesthesia Personnel: An Occupational Hazard, presented to the International Healthcare Diversion Association First Annual Meeting, 2016.
  9. L'Institut BD d'excellence en gestion des médicaments. Health Care’s Hidden Epidemic: A Call To Action On Hospital Drug Diversion. BD; 2019.
  10. Zak P. Measurement Myopia. Drucker Institute. Publié en 2019. Consultation : 22 octobre 2019.
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