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Iniquité en matière de santé: La nécessité de mesures énergiques et d’une collaboration active pour éradiquer le cancer du col de l'utérus au Canada


Date de publication : 10 janvier 2024

Dre Anu Rebbapragada, dipl. (ABMM) FCCM

BD-Canada a le plaisir de publier le blogue ci-dessous, le troisième de la série de blogues sur les iniquités en matière de santé au Canada. Cette série a été conçue pour attirer l'attention sur les iniquités en matière de santé au Canada, car nous croyons qu'une sensibilisation accrue peut améliorer les résultats en matière de santé pour les personnes les plus touchées. Le premier blogue de cette série, intitulé Comment les déterminants sociaux créent-ils des cas de maladie artérielle périphérique au sein de la population canadienne?, se trouve ici. Le deuxième blogue de cette série, intitulé En l’honneur des femmes – Équité, diversité et inclusion dans le dépistage du cancer du sein au Canada, se trouve ici.

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Janvier est le mois de la sensibilisation au cancer du col de l'utérus, une occasion de rendre hommage aux expériences vécues par les patientes, les familles et les soignants touchés par le cancer du col de l'utérus et de mettre en lumière les mesures requises pour remédier aux iniquités qui ont entravé les efforts d'éradication de la maladie.

Le cancer du col de l'utérus est l'un des rares cancers que l'on peut presque totalement prévenir grâce à des programmes de dépistage systématique, à la détection précoce par le test de dépistage du virus du papillome humain et à la vaccination. En tant que microbiologiste clinicienne, professionnelle de la santé publique et femme spécialisée dans la recherche sur les infections transmissibles sexuellement, la mise en œuvre de tests de diagnostic évolués, l'amélioration de l'accès aux soins de santé et la défense des questions liées à la santé des femmes, le travail d'éradication du cancer du col de l'utérus me tient particulièrement à cœur.

Notre génération dispose d'un potentiel incroyable pour saisir l'occasion d'éradiquer le cancer du col de l'utérus de son vivant.

Voici mes réflexions sur les piliers essentiels à la réalisation de l'objectif du Partenariat canadien contre le cancer (PCCC), qui vise à éliminer le cancer du col de l'utérus au Canada d'ici 2040 :

L'infection par le virus du papillome humain (VPH) peut déclencher une cascade de changements cellulaires susceptibles d'évoluer vers le développement d'un cancer du col de l'utérus. Les innovations dans la méthodologie des tests et les programmes structurés de dépistage du cancer du col de l'utérus ont permis de réduire considérablement le nombre de décès et de diagnostics de cancer au Canada. La plus grande avancée technologique est l'utilisation du test moléculaire de dépistage du VPH, qui permet une détection précoce et favorise un traitement rapide avant le développement de lésions précancéreuses. En tant que système d'alerte précoce, le test de dépistage du VPH détecte les infections virales persistantes les plus susceptibles d'évoluer vers la maladie, contrairement au test Pap, qui ne peut identifier les cellules anormales qu'à un stade ultérieur du développement du cancer par le virus oncogène. De nombreuses preuves de la supériorité des performances du test de dépistage du VPH ont conduit plusieurs organismes de santé de premier plan, dont l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le PCCC, à recommander le test de dépistage du VPH comme principale méthode de dépistage du cancer du col de l'utérus. L'expérience internationale croissante de la mise en œuvre du dépistage du cancer du col de l'utérus basé sur le VPH a forcé le Québec et l'Île-du-Prince-Édouard à actualiser leur méthode de dépistage primaire en adoptant le test de dépistage du VPH. D'autres administrations au Canada évaluent activement la possibilité de remplacer le test Pap, plus couramment utilisé et basé sur la cytologie, par le test de dépistage du VPH.

Malgré l'existence d'innovations prometteuses, des statistiques récentes de la Société canadienne du cancer montrent que le cancer du col de l'utérus demeure le cancer qui augmente le plus rapidement au pays pour les personnes ayant un col de l'utérus. On estime à 1 450 le nombre de diagnostics et à 380 le nombre de décès dus au cancer du col de l'utérus chaque année au Canada. Le plus étonnant, c’est que le taux de diagnostics de cancer du col de l'utérus au Canada a augmenté de 3,7 % par année depuis 2015, après une baisse de 30 ans à partir du milieu des années 1980.

Le message sous-jacent de ces statistiques est clair :

  • Les innovations sont inutiles si elles ne sont pas mises en œuvre rapidement, de manière responsable et équitable.
  • Le recours au test Pap traditionnel ne nous permettra pas d'atteindre notre objectif d'élimination du cancer du col de l'utérus.
  • Nous ne faisons pas assez pour éliminer les obstacles et veiller à ce que toutes les Canadiennes admissibles bénéficient d'un dépistage systématique du cancer du col de l'utérus.
  • L'éducation continue sur le dépistage et la vaccination est essentielle dans l'arsenal de lutte contre le cancer du col de l'utérus, car elle permet aux femmes de prendre leur santé en main.
     

L'accès au dépistage a été identifié comme un pilier essentiel de la stratégie d'élimination du cancer du col de l'utérus du PCCC. Toutefois, l'accès général aux services de dépistage du cancer du col de l'utérus au Canada est loin d'être suffisant; de nouvelles stratégies doivent être mises en œuvre avec audace pour surmonter les difficultés de longue date dans la manière dont les femmes accèdent aux services de dépistage.

Il existe de nombreux obstacles au dépistage du cancer du col de l'utérus au Canada. Des estimations récentes de la participation au dépistage indiquent qu'entre 25 % et 40 % des Canadiennes admissibles ne subissent pas de dépistage systématique du cancer du col de l'utérus, selon la province et l'âge. Ce chiffre est nettement inférieur à l'objectif du PCCC, qui consiste à atteindre un taux de dépistage de 90 % pour toutes les personnes admissibles d'ici 2030, soit dans six ans à peine.

Parmi les obstacles importants, on retrouve l'accès limité à un médecin pour le prélèvement d'un échantillon du col de l'utérus, c’est-à-dire la première étape nécessaire pour effectuer un test de dépistage du VPH ou un test Pap. La pandémie de COVID-19 a également eu un impact considérable sur les taux de dépistage du cancer du col de l'utérus au Canada; la pénurie de personnel dans les cliniques et les laboratoires a entraîné des arriérés dans le prélèvement, le dépistage et la gestion des cas. Depuis 2020, l'incidence du cancer du col de l'utérus a été multipliée par trois dans les populations vulnérables qui ont un accès limité au dépistage par rapport à la population générale. Les femmes vivant dans des régions isolées et rurales, par exemple, sont plus susceptibles d'avoir un accès limité aux médecins pour le dépistage du cancer du col de l'utérus. Les recherches montrent également que les femmes handicapées, les femmes noires, les femmes nées à l'étranger, les femmes ayant subi un traumatisme sexuel et les personnes 2ELGBTQI+ sont nettement moins susceptibles de subir un dépistage du cancer du col de l'utérus que la moyenne nationale. En conséquence, les cas de cancer du col de l'utérus sont plus nombreux dans certaines populations, notamment les personnes vivant dans des régions rurales ou éloignées, les personnes à faible revenu, ainsi que les Premières Nations, les Inuits et les Métis. L’actualisation des programmes de dépistage doit tenir compte de ces obstacles, car 50 % des cancers du col de l'utérus à un stade avancé sont diagnostiqués chez des femmes qui n'ont pas fait l'objet d'un dépistage systématique.

Les avantages du dépistage précoce du VPH ne sont pas pertinents si les femmes sont confrontées à des obstacles majeurs simplement pour accéder à un médecin et qu’elles n'ont pas d'autre moyen de prélever l'échantillon nécessaire pour effectuer un test de dépistage du VPH. Pour remédier efficacement à ces iniquités et faire preuve d'audace dans son objectif d'éradication du cancer du col de l'utérus, le Canada doit adopter les nouvelles technologies fondées sur des données probantes afin d'assurer le rendement de l’investissement à long terme du programme de dépistage du cancer du col de l'utérus dans notre pays.

La mise en œuvre du test de dépistage du VPH comme méthode de dépistage primaire du cancer du col de l'utérus constitue un premier pas important vers l'objectif d'éradication du cancer. Cependant, un programme global doit également explorer les avantages de tous les outils disponibles pour l'autoprélèvement en toute sécurité d'échantillons de qualité et leur transport sécuritaire pour le test de dépistage du VPH. Il existe déjà un précédent avec l'utilisation d'échantillons prélevés à domicile pour le test immunochimique fécal (TIF) dans le cadre du programme de dépistage du cancer du côlon (de l'intestin).

En complément de l’actualisation des méthodes de prélèvement, il est essentiel de sensibiliser les femmes à la sécurité, à l'acceptabilité et à l'exactitude des tests de dépistage du VPH à partir d'échantillons prélevés par les patientes elles-mêmes tout en tenant compte de leurs distinctions culturelles. L'éducation favorise l'adhésion à l'autoprélèvement en tant que solution efficace pour surmonter les obstacles comme l'éloignement géographique, la pénurie de médecins et les restrictions personnelles.

Des pas de géants ont été réalisés dans la conception et le déploiement de nouveaux outils de dépistage et de traitement, ce qui a permis de réduire considérablement l'incidence de la maladie et la mortalité. Cependant, il reste encore un long chemin à parcourir pour atteindre notre objectif visant à éliminer le cancer du col de l'utérus dans les 16 prochaines années. Si je pense que cet objectif est réalisable, il nécessite la prise de mesures immédiates et actualisées.

Une approche évoluée et pratique à l’égard du cancer du col de l'utérus nécessite des stratégies qui exploitent de manière responsable les technologies qui améliorent la qualité du diagnostic, comblent les lacunes persistantes qui entravent l'accès aux services de dépistage, bonifient les parcours de prise en charge personnalisés et préparent de manière proactive aux risques émergents.

Un plan stratégique solide comprend :

  • une conception avancée des tests de dépistage du VPH et des plateformes automatisées procurant un dépistage précis, efficace et de haute qualité;
  • des outils pour améliorer l'accès aux services de dépistage du VPH, en particulier pour les femmes « sous-dépistées » qui sont les plus susceptibles d'être porteuses d'une maladie non détectée;
  • des vaccins multivalents ciblant un large éventail de types de VPH à haut risque oncogènes;
  • des algorithmes de triage fondés sur le risque pour une prise en charge personnalisée sur la base de données épidémiologiques et cliniques actualisées concernant la progression de la maladie spécifique au type de VPH;
  • une éducation améliorée pour augmenter les taux de vaccination et de dépistage.
     

Il faut se rappeler que l'inaction a un coût, même s'il n'est pas immédiat. Chaque dépistage manqué entraîne un coût pour la patiente, le médecin et le système de santé. Le coût humain d'une détection tardive et du développement inutile de complications nécessitant des interventions invasives complexes et une perte de qualité de vie s’avère primordial. Les provinces canadiennes doivent prendre des mesures décisives pour mettre en place un programme de dépistage du cancer du col de l'utérus à la fois généralisé, sans obstacle et global. La vie des femmes de la génération actuelle, la qualité de vie de ceux qui dépendent d'elles et leur contribution à la société sont tributaires d'un programme de dépistage du cancer du col de l'utérus bien ficelé.

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La Dre Anu Rebbapragada a piloté la mise en œuvre de tests diagnostiques avancés du VPH et elle a servi de leader d'opinion et de conseillère sur le dépistage du cancer du col de l'utérus et les tests de dépistage du VPH auprès de divers organismes de lutte contre le cancer aux quatre coins du Canada. Au cours de ses 15 années de carrière, la Dre Rebbapragada a mené de nombreuses études sur l'épidémiologie des infections à VPH à haut risque dans diverses populations canadiennes, sur les performances de divers tests de détection du VPH et sur les options de prélèvement d'échantillons. Elle est à l'avant-garde de l’élaboration de stratégies visant à améliorer l'accès au diagnostic et elle a dirigé un programme pilote qui a évalué la faisabilité, l'acceptabilité et l’exactitude de l'utilisation de l’autoprélèvement pour obtenir des échantillons provenant de populations insuffisamment dépistées pour la détection du VPH. Ses recherches ont donné lieu à de nombreuses publications, à des subventions et à des prix, notamment le prix d'innovation de l'Ontario pour l'évaluation de l'efficacité du vaccin contre le VPH.
 

Références :

  1. Access Alliance Multicultural Health and Community Services. Addressing Cervical Cancer Screening Inequity among Newcomer Women via HPV Self-Sampling | Alliance pour des communautés en santé. www.allianceon.org. Consulté le 28 décembre 2023. https://www.allianceon.org/fr/resource/Addressing-Cervical-Cancer-Screening-Inequity-among-Newcomer-Women-HPV-Self-Sampling
  2. Partenariat canadien contre le cancer. Canadian Strategy for Cancer Control Doing Together What Cannot Be Done Alone; 2019. Consulté le 28 décembre 2023. https://s22457.pcdn.co/wp-content/uploads/2019/06/Canadian-Strategy-Cancer-Control-2019-2029-EN.pdf
  3. Haward B, Tatar O, Zhu P, et al. Are Canadian Women Prepared for the Transition to Primary HPV Testing in Cervical Screening? A National Survey of Knowledge, Attitudes, and Beliefs. Current Oncology. 2023;30(7):7055-7072. https://doi.org/10.3390/curroncol30070512
  4. Lofters A, Devotta K, Prakash V, Vahabi M. Understanding the Acceptability and Uptake of HPV Self-Sampling Amongst Women Under- or Never-Screened for Cervical Cancer in Toronto (Ontario, Canada): An Intervention Study Protocol. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2021;18(17):9114. https://doi.org/10.3390/ijerph18179114
  5. Persaud N, Sabir A, Woods H, et al. Preventive care recommendations to promote health equity. CMAJ. 2023;195(37):E1250-E1273. https://doi.org/10.1503/cmaj.230237
  6. Subramaniam A, Fauci J, Schneider K, et al. Invasive Cervical Cancer and Screening: What are the Rates of Unscreened and Underscreened Women in the Modern Era? Journal of lower genital tract disease. 2011;15(2):110-113. https://doi.org/10.1097/LGT.0b013e3181f515a2
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